dimanche 10 avril 2011

On n'est pas passé loin...

Dans l'actualité à Washington cette semaine, deux faits assez déments dont vous n'avez peut-être pas entendu parler à l'étranger, mais qui valent pourtant leur pesant de cacahuètes !...
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1°/ L'expo Gauguin
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Vous souvenez-vous de cette expo Gauguin dont je vous ai parlé il y a quelque temps ? Celle de la NGA consacrée à Paul Gauguin. Bon, et bien la semaine dernière, une américaine complètement tarée s'y est rendue librement et en est repartie en fourgon de police. La malheureuse s'en est en effet prise physiquement à un tableau, Deux femmes tahitiennes, en donnant des coups de poing dessus, en s'efforçant de le décrocher, tout en hurlant "This is evil ! This is evil !", sous le regard effrayé et incompréhensif des autres visiteurs. Est-ce parce que le tableau laisse voir les seins des Tahitiennes en question ? Est-ce par conscience puritaine ? Est-ce parce que les femmes n'ont pas la peau blanche ? Est-ce une manifestation raciste ? On ne sait pas... En revanche, on sait qu'elle va avoir droit à un procès en bonne et due forme pour "destruction de biens" et "tentative de vol". Quant au tableau, il a été décroché et la NGA va sans doute avoir quelques problèmes avec le Met, qui lui avait prêté...
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2°/ Le presque "government shutdown"
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Vendredi matin, alors que j'étais en train de courir au gym, j'ai été interpellée par les gros titres de toutes les chaînes de télé allumées devant moi : "Will there be a government shutdown tonight ?". "Est-ce que le gouvernement sera fermé ce soir ?" Tous les journalistes avaient l'air alarmé. A mon retour devant mon PC, plusieurs statuts Facebook d'Américains versaient dans l'apocalyptique... Mais qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Après lecture du Washington Post et discussion avec Trevor, j'ai enfin compris de quoi retournait ce pataquès politique...
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Il y a deux semaines, les Congressmen se sont réunis au Capitole afin de voter le budget allant d'avril à septembre (2011). Bien que ce vote prenne toujours du temps, négociations obligent entre les deux camps parlementaires, il s'effectue d'habitude en moins d'une semaine et prend acte quelque chose comme 72h plus tard, soit presque immédiatement.
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Mais qu'est-ce que cette année a de particulier ? Du fait de la crise économique actuelle et du poids colossal de leur dette extérieure (notamment vis-à-vis de la Chine), la Maison Blanche comme le Congrès s'accordaient sur la nécessité de réduire drastiquement le budget. L'Etat américain ne sera pas généreux cette année, c'est un fait !
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Problème : là où la Maison-Blanche proposait d'économiser 33 milliards de dollars, l'opposition républicaine, elle, voulait en économiser au minimum 40 milliards. C'est ainsi qu'ont commencé des tractations à n'en plus finir, au Sénat (dominé par les Démocrates, autrement dit par les partisans de "la petite coupe") et à la Chambre des Représentants (dominée par les Républicains, autrement dit par les partisans de "la grosse coupe").
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Pourquoi était-ce si problématique ? Il est vrai que 7 milliards de dollars, au regard du budget total des Etats-Unis, c'est une bouchée de pain !... Non, ce qui était embêtant dans cette histoire, c'étaient les domaines dans lesquels les Républicains proposaient d'effectuer ces coupes budgétaires...
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D'une part, ils voulaient faire des économies sur le planning familial. Derrière cette attaque contre cette institution au statut hybride (partiellement privée, partiellement publique) se cache bien évidemment le Tea Party, désireux de supprimer toute subvention étatique oeuvrant de près ou de loin à l'avortement. Dans un pays où le débat sur l'avortement est toujours d'actualité, cette demande de la part des Républicains n'était pas très surprenante. Ce qui choque bien davantage, c'est le fait que les avortements ne représentent même pas 5% du budget du planning familial ; le reste étant consacré à subventionner les familles nombreuses, à aider les couples ayant des problèmes de fécondité, à distribuer des contraceptifs, etc. Plus que l'avortement, ce serait donc un pan entier de l'action sociale qui s'effondrerait, si l'Etat arrêtait subitement de financer le planning familial.
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D'autre part, ils voulaient mettre fin au subventionnement par l'Etat de l'Agence pour l'Environnement. A ce jour, cette organisation réglemente les émissions de gaz toxiques des compagnies américaines et correspond de fait à l'un des seuls efforts faits par les Américains pour se montrer plus respectueux de l'environnement. Les Républicains conditionnent la reprise du subventionnement de l'Agence à la perte du droit à réglementer ces émissions. Indirectement, cette perte de droit conduirait la grande industrie américaine à polluer quasiment sans restrictions. Compte tenu du fait qu'elle est déjà beaucoup moins eco-friendly qu'ailleurs en Occident, cette mesure aurait été la porte ouverte aux augmentations des émissions de gaz toxiques.
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Evidemment, la Maison-Blanche et les Démocrates refusaient de faire de pareilles concessions sur des sujets aussi délicats et capitaux, d'où ce "piétinement" pendant deux semaines...
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Qu'est-ce ça révèle sur la politique menée par les Républicains de façon générale ? Ça révèle le fait que depuis plusieurs années, les Républicains aiment "prendre en otage le budget" pour défendre des réformes qui n'ont rien à voir avec la choucroute. Le débat sur le budget est relégué au second rang, derrière des préoccupations purement idéologiques, ce qui a pourtant à terme une incidence considérable sur l'économie du pays.
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Alors à quoi ont finalement mené les disputes au Congrès ? Et bien à une grosse frayeur ! En effet, dans un premier temps, les Congressmen ont voté la prolongation du débat d'une semaine, afin de gagner un peu de temps pour le vote. Malheureusement, jusqu'à vendredi soir minuit (date limite), malgré l'octroi de ce délai supplémentaire, ils n'avaient toujours pas réussi à se mettre d'accord sur le montant ni sur la nature des coupes budgétaires à appliquer.
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Vendredi matin, Obama avait donc convoqué le Président républicain de la Chambre des Représentants, John Boehner (originaire de l'Ohio, héhé...) et le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid, pour une ultime discussion. Dans l'hypothèse où ils ne parviendraient à aucun accord avant minuit, il avait menacé de "shut down" le gouvernement, autrement dit de le "paralyser".
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Si le budget n'avait pas été voté avant minuit, tout l'appareil fédéral aurait été fermé. Les 800 000 employés de l'Etat fédéral - à l'exception des cadres en poste dans le domaine de la National Security - auraient été privés de salaires et on leur aurait interdit l'accès à leur lieu de travail. L'Etat aurait cessé le paiement des pensions et subventions à qui de droit. Les soldats actuellement dans les zones de combat de même que les pompiers et secouristes actuellement sur le terrain au Japon n'auraient plus été payés. On aurait arrêté de délivrer des visas et des passeports. Les parcs et sites nationaux auraient été fermés. Bref, l'Etat serait devenu un Etat sans budget, donc impotent. La Somalie quoi !
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Même si ça paraît surréaliste, c'est une disposition étrange mais légale aux Etats-Unis. Ça s'est déjà produit, en 1995 et 1996, quand Clinton se frottait aux Républicains (toujours les mêmes !) sur le financement de Medicare, de la protection de l'environnement, de l'éducation et de la santé publique en général.
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Pour éviter qu'une telle paralysie se reproduise et qu'un tel désordre s'installe, et sous la pression populaire - puisque c'est finalement pour rappeler aux Congressmen qu'ils doivent se dépêcher de faire leur boulot qu'on interdit aux fonctionnaires de se rendre au travail en cas de shutdown -, les deux lascars sont finalement parvenus à un accord, peu avant minuit.
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Alors ce budget 2011, ça donne quoi ? Et bien ça donne des économies d'un montant total de 38 milliards de dollars. On a donc coupé la poire en deux ! Les Démocrates ont réussi à faire renoncer les Républicains à leur chantage "anti-environnemental" sur l'Agence pour l'Environnement. Ils ont également réussi à "sauver" le financement du planning familial. En revanche, ils ont dû céder du terrain sur l'avortement. Et désormais, l'Etat ne pourra plus subventionner d'une quelconque façon, directe ou indirecte, une organisation en lien avec l'avortement à Washington.
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Conclusion :
Ainsi, le shutdown a été évité in extremis. Je suis bien évidemment contente qu'on n'en soit pas venue à cette extrémité et que les Démocrates aient réussi à défendre leur Etat-Providence et la cause environnementale. Quant à la concession sur l'avortement, ce n'est que partie remise ! La question est loin d'être close et elle resurgira tôt ou tard...
Pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'être un p'tit peu déçue (stupidement, certes !) à l'idée de n'avoir pas "vécu" ce qui aurait été un moment-clé de l'histoire politique américaine : un troisième government shutdown. En pleine capitale fédérale en plus, voir ce à quoi ça ressemble aurait été très instructif je pense !...

1 commentaire:

  1. J'avais entendu parler de ces deux evenements, meme en cette terre nombriliste de non-culture qu'est l'australie, et qui plus est je l'avais lu dans mX qui est pourtant au journalisme l'equivalent de ce que Paru-vendu peut representer de stimulation intellectuelle.
    Je suis juste profondement decu que tu ne l'aies pas vecu, ca nous aurait fait de nouveaux articles fascinants!
    Pour le reste, que te dire... tu es bien meilleure qu'olivier duhamel, c'ets toi qui devrais nous enseigner le droit constit et les institutions. et j'adorerais suivre ton exemple et parler de politique australienne, mais comment t'expliquer que la caracteristique principale de la politique locale c'est que tout le monde s'en fout et qu'il ne se passe rien!

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